« (...) [ces] personnages de la scène médiatico-politique qui (...) miment la figure et le rôle de l'intellectuel (...) ils ne peuvent donner le change qu'au prix d'une présence constante dans le champ journalistique (...) et y importent des pratiques qui, en d’autres univers, auraient pour nom corruption, concussion, malversation, trafic d’influence, concurrence déloyale, collusion, entente illicite ou abus de confiance et dont le plus typique est ce qu’on appelle en français le "renvoi d’ascenseur" ». Pierre Bourdieu, « Et pourtant », Liber n°25, décembre 1995.

dimanche 10 juillet 2011

Libération ironiserait-il sur Nicolas Demorand?

Comme nous le signalions le 8 juillet 2011, le patron de Libération, Nicolas Demorand, était à l'affiche de la 11ème édition des  "Rencontres Economiques d'Aix en Provence" organisées par le "Cercle des économistes", "Rencontres" au cours desquelles l'oligarchie phynancière (et ses relais mondains et médiatiques) s'auto-célèbre rituellement depuis 11 ans.
Nicolas Demorand a assuré l'animation (c'est à dire a passé les plats) de la 1ère session de ces "Rencontres" et en voici une image banale:

MC Demorand
Libération avait un "envoyé spécial", Jean-Christophe Féraud, qui a rendu compte dans l'édition du 9 juillet 2011 de la 1ère journée (où officiait donc son patron Nicolas Demorand) en des termes et avec un ton tels qu'il est possible de lire son article comme une description clinique de l'état final du retournement qui a vu Libération passer "de Sartre à Rotschild [et Demorand]":

Dans l’ambiance estivale chic d’Aix-en-Provence, on était loin hier des lacrymogènes de la place Syngtama et des préoccupations des citoyens grecs, espagnols ou portugais sommés de se serrer un peu plus la ceinture à chaque plan d’austérité. Le Cercle des économistes, qui organise jusqu’à dimanche ses Rencontres économiques d’Aix, avait pourtant posé la question keynésienne du moment, histoire de chauffer l’amphi de la fac de droit : faut-il un retour en force de l’Etat-providence pour veiller au public, réguler «ces marchés devenus fous» et sortir de la crise de la dette ?
Mais consensus de place oblige entre économistes et grands patrons, on a plus entendu vendredi les libéraux à demi-repentis ou toujours ultra que les partisans de l’Etat-providence un peu ragaillardis. Sans parler des Indignés totalement absents en ces lieux. Par une étrange ironie du moment, l’Américain Francis Fukuyama, qui prédisait «la fin de l’histoire» et le triomphe de la «démocratie libérale» il y a vingt ans, a ouvert le bal par un acte de semi-contrition : «Depuis la crise de 2008, je suis convaincu que la période des révolutions thatchériennes et reaganiennes est terminée.» Si on a eu raison de réduire la place de l’Etat pendant deux décennies, «les marchés financiers ont infligé un coût insupportable à la collectivité», a-t-il reconnu. Beau retournement sur l’aile.
Le problème, c’est que la gauche, inaudible, est en panne de projet pour sonner le retour de l’Etat-providence. Résultat : «Crise de représentativité et montée des populismes dangereuse pour la démocratie représentative» , a diagnostiqué le bon docteur Fukuyama. En se gardant bien cette fois, de délivrer la moindre ordonnance. «Les Etats sont vus comme des sauveurs ou des pompiers, mais nous ne sommes pas dans une phase keynésienne», a reconnu, fataliste, l’ancien ministre socialiste Hubert Védrine, en appelant de ces vœux un «Etat stratège» avec l’économiste Christian de Boissieu.
Voilà qui devrait détendre l’atmosphère à Athènes, où l’on est forcé de privatiser 25% du PIB grec, pour payer les créanciers. Vieil adage de banquier : «Toute dette a pour vocation d’être remboursée», a rappelé sans compassion excessive le patron du CIC, Rémy Weber. Pour lui, la sortie de crise passe par «le retour à l’épargne favorisant la création nouvelle de richesses». Banquier un jour, banquier toujours. Et optimiste avec ça : «On permettra ainsi au capitalisme libéral de se régénérer». L’assureur Jean Azéma (Groupama) a opiné : «Dans libéralisme il y a liberté». D’ailleurs «le marchand Mohamed Bouazizi, à l’origine de la révolution tunisienne, s’est immolé parce qu’on lui a refusé la liberté d’entreprendre». Un ange tocquevillien passe. Et l’économiste Andrei Schleifer de Harvard sacrifie à la main invisible des marchés : «Faut-il plus de régulation ? La réponse est non.» Regardez l’Espagne, «l’une des économies les plus régulées du monde» : «Ce n’est pas l’échec du capitalisme, c’est l’échec des systèmes ultrarégulés des pays d’Europe du Sud».
Juste bon à privatiser les profits et nationaliser les dettes, l’Etat ? Non, «c’est la seule entité qui a une légitimité profonde pour mobiliser les citoyens et agir», a plaidé Suzanne Berger, du MIT, en citant l’Etat fédéral américain qui a mis le paquet dans l’innovation high-tech made in Silicon Valley. Maigre renfort pour Poul Nyrup Rasmussen, le président du Parti socialiste européen, qui a défendu seul «un choix politique de gauche, celui d’un Etat fort» : «Les Etats sont trop petits pour peser sur les marchés financiers, alors garantissons la dette des Etats au niveau des Vingt-Sept avec des Eurobonds pour se concentrer sur la croissance et l’emploi et faire renaître l’espoir», a-t-il proposé. Applaudissements polis, sans plus. Faudrait pas faire plonger l’euro."

Imagine t-on Sartre en train de porter le micro aux dominants et aux possédants?
Imagine t-on Nicolas Demorand en train d'écrire Les Mots ou L'Être et le Néant?

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