Le 19/10/2014 Les Echos ont mis en ligne un article de Pierre-Henri Bono : " La fuite des cerveaux, un fantasme français " .
Voici cet article qui montre l'inanité des jérémiades sur " la fuite des cerveaux " :
" Il y a encore quelques années, la question
de la fuite des cerveaux ne semblait concerner que les pays en voie de
développement. Mais aujourd’hui ce sont les pays avancés qui
s’inquiètent de l’exode de leurs ressortissants les mieux formés. Le
débat est vif en France. Pourtant les données sont rares et
parcellaires. Celles qui sont disponibles permettent de souligner des
tendances croissantes au départ, mais qu’il faut relativiser et qui
sont, de plus, assez largement compensées par les arrivées.
Lorsque
l’on évalue rigoureusement l’exode des diplômés français, il apparaît
que pour le niveau d’éducation tertiaire qui correspond à des personnes
ayant atteint un niveau bac et plus, le taux d’émigration, c’est-à-dire
le rapport entre le nombre de personnes se trouvant à l’étranger sur le
nombre total de personnes ayant le même niveau, est parmi les plus
faibles en Europe. Avec un taux de 5 % en 2010, la France est loin du
Royaume-Uni (18 %). Or, il ne semble pas que le Royaume-Uni ait
périclité. Certes en volume, le nombre de personnes nées en France et
résidant à l’étranger a été multiplié par 5 entre 1980 et 2010.
Cependant, le capital humain que le Royaume-Uni, et dans une moindre
mesure la France, perdent ainsi est plus que compensé par une
immigration de niveau équivalent de sorte que le solde migratoire net
est largement bénéficiaire.
Ces
chiffres concernent les diplômés du supérieur, baccalauréat compris.
C’est sans doute une fourchette trop large pour apprécier le problème de
la fuite des plus hauts potentiels, les diplômés des Grandes Écoles ou
les titulaires de doctorat dans les domaines de pointe. Qu’en est-il
exactement ? Une étude de l’institut Montaigne de novembre 2010
s’intéresse précisément aux expatriés français à très haut potentiel aux
États-Unis. Pour un large éventail de disciplines et en regardant les
30 meilleurs établissements de recherche américains, on ne dénombre, à
rebours des tendances alarmantes souvent décrites, que... 70 chercheurs
français ! Le PIB français peut-il à terme être défavorablement affecté
par le départ de 70 de nos compatriotes ? Et dans l’affirmative, est-on
vraiment incapable de mettre en place une politique publique pour 70
personnes ? Et même si ces 70 personnes étaient les meilleurs Français
dans leur domaine respectif, l’impact économique de leur départ est loin
d’être évident à quantifier. Certains diront même que cette présence
française est une bonne chose pour la recherche française. Dans un monde
où les universités américaines ont la plus grande visibilité, l’absence
de Français serait alors préjudiciable.
L’analyse
quantitative des annuaires des anciens élèves des grandes écoles,
permet aussi de mesurer l’exode des très hauts potentiels. Des premiers
résultats portent sur l’École Polytechnique. Oui le nombre de
polytechniciens résidant à l’étranger a augmenté au cours de la dernière
décennie : cette proportion est passée d’environ 10 % des X entre 25 et
60 ans (âge d’activité) en 2004 à 14,8 % en 2011 et 15 % en 2013. Mais
dans le même temps, l’École Polytechnique a vu la proportion d’étudiants
étrangers progresser dans des proportions quasi identiques ; de 5,2 %
en 2004, 10,2 % en 2011 et 10,8 % en 2013. La progression des résidents à
l’étranger pour les diplômés de Polytechnique peut s’expliquer par la
mondialisation des activités économiques et scientifiques. D’autre part,
la France bénéficie de nombreuses arrivées de très hauts potentiels.
Dans
ce monde devenu accessible pour tous ceux qui ont des envies
d’ailleurs, il ne faut pas s’étonner que les jeunes Français qui ne
partaient pas, partent. Ils sont d’ailleurs poussés en cela par des
études de plus en plus fractionnées dans plusieurs pays. La France ne
doit pas s’opposer à la tendance mondiale de la mobilité des très hauts
potentiels. Elle devrait au contraire étudier le phénomène, le
comprendre et proposer des solutions pour être un acteur majeur capable
d’attirer sur son sol l’élite mondiale.
Pierre-Henri
Bono est chercheur et directeur de projet au Laboratoire
interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques.(LIEPP) "
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