« (...) [ces] personnages de la scène médiatico-politique qui (...) miment la figure et le rôle de l'intellectuel (...) ils ne peuvent donner le change qu'au prix d'une présence constante dans le champ journalistique (...) et y importent des pratiques qui, en d’autres univers, auraient pour nom corruption, concussion, malversation, trafic d’influence, concurrence déloyale, collusion, entente illicite ou abus de confiance et dont le plus typique est ce qu’on appelle en français le "renvoi d’ascenseur" ». Pierre Bourdieu, « Et pourtant », Liber n°25, décembre 1995.

mardi 28 janvier 2014

La Restauration littéraire.

1990 : Jean Rouaud publie son premier " roman " (sans intérêt, comme tout ce qu'il publiera par la suite) chez Minuit, l'éditeur, entre autres, de Beckett, Bourdieu, Deleuze, Simon.
Ce " roman " lui permet d'obtenir le prix Goncourt.
Le 22 janvier 2014 le site du Figaro publie une interview de Jean Rouaud.
Cet écrivaillon se lâche enfin et confirme que son arrivée chez Minuit consolidait la Restauration littéraire.

Extraits :

le roman était déjà mal en point au début du XXe siècle. On se souvient de la phrase de Valéry sur la marquise qui ne peut sortir à cinq heures, que l'on a trouvée citée par Breton dans le premier Manifeste du surréalisme. Et Proust construit la Recherche sur un subterfuge. Le narrateur nous explique qu'il se propose d'écrire un livre. Et son livre se termine au moment où il nous promet que, cette fois, il va s'y mettre. De la sorte, la Recherche est un anti-roman.

les années 1960 et 1970 ont radicalisé la critique du roman jusqu'à annoncer sa mort, avec celle de l'auteur. Le style était le panache blanc grossier de la bourgeoisie. Et la langue était fasciste! Une belle phrase, c'était le signe très sûr de la réaction! Tout ça cumulé n'était pas encourageant pour un apprenti écrivain.

Il fallait tout déconstruire, user d'une écriture complètement dématérialisée qui ne devait surtout pas faire référence au réel, au «référentiel». On avait décrété que le texte ne renvoyait qu'à d'autres textes. En même temps, éviter de raconter le réel arrangeait bien la société.

il existait une sorte de collusion entre le marxisme dominant qui projetait vers l'avenir et empêchait de se retourner, et l'expérimentation littéraire qui condamnait les formes anciennes.

Cette chape de plomb a duré vingt ans.

Mon problème, c'était d'être un écrivain de la modernité avec un matériel qui appartenait entièrement au registre de la «réaction»: la campagne (qui évoquait immanquablement la révolution nationale de Pétain, «la terre ne ment pas»), le milieu social des petits commerçants (les plus maltraités en littérature), le catholicisme le plus bigot, celui des Chouans (quand l'idéologie dominante était marxiste et que la religion était le symptôme de la plus grande arriération mentale).

Il y avait un aveuglement sélectif. De Claude Simon, on vantait toujours la phrase torrentielle mais jamais on ne mettait en avant qu'il n'avait fait que raconter sa propre histoire. Il faut se rappeler que les grands noms des années 1960 et 1970 étaient tous des penseurs (Deleuze, Bourdieu, Lacan…). Ils avaient un usage de la langue extrêmement «précieux» (au sens du XVIIe siècle), complètement désactivé. Ce qui rendait impossible d'appeler un chat un chat. Tous les mouvements artistiques allaient dans le même sens d'une dématérialisation du monde.

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